Les Députés Nationaux de la Tshopo, préoccupés par la monstruosité du conflit Mbole-Lengola, ont, ce mercredi 5 juin 2024, dans une déclaration, formulé plusieurs recommandations dont l’annulation des contrats d’occupation des terres par CAP CONGO ; société considérée par plusieurs comme maintenance des tueries entre les peuples Mbole et Lengola. Devant le Président de l’Assemblée Nationale, Vital Kamerhe, ces élus de la Tshopo ont pointé du doigt la société Cap Congo. Ci-dessous l’intégralité de la déclaration des Députés Nationaux de la Tshopo.
Mémorandum des Députés nationaux de la Tshopo sur la situation sécuritaire à Kisangani
État des lieux
Depuis le mois de février 2023, les peuples Lengola et Mbole, qui vivent côte-à-côte depuis des siècles, ont commencé à s’affronter dans la Commune de Lubunga. Lesdits affrontements se sont étendus sur les axes routiers Lubunga-Ubundu, Lubunga-Opala et Lubunga-Isangi. Ils se déroulent aussi bien dans les environs des résidences que dans les champs ou dans la forêt. Les premières tentatives d’explication quant à la cause de ce conflit évoquent péremptoirement l’acquisition, par une entité économique dénommée Compagnie Agro-Pastorale du Congo (CAP-Congo), d’un bloc de terre de 4.000 hectares à la suite de la signature de 20 contrats d’occupation de terre par Madame Madeleine NIKOMBA SABANGU, Gouverneure de la Province de la Tshopo d’alors. Aussi, l’acteur coutumier à la base de la déclaration de vacance de terre est-il contesté par la communauté Mbole, qui impute le fait à la communauté Lengola. Il s’agirait, à première vue, d’un conflit foncier.
Pour s’enquérir de la situation, l’Assemblée provinciale et le Gouvernement provincial ont, au cours des mois d’avril, mai et juin 2023, envoyé des missions d’enquête et de sensibilisation sur tous les axes touchés par les affrontements. Il en est ressorti un kaléidoscope de causes, entre autres :
• la juxtaposition de deux Administrations, l’une moderne (Commune de Lubunga) et l’autre traditionnelle (Secteur de Lubuya-Bera), qui profiterait plus aux Lengola et Kumu qu’aux Mbole ;
• la contestation des limites des entités administratives et de la notion de « premiers occupants » ; en effet, alors que les Lengola et les Kumu revendiquent le droit coutumier sur les terres de Lubuya-Bera, les Mbole, eux, réclament la suppression du Secteur de Lubuya-Bera sur l’axe routier Lubunga-Opala au profit de l’extension du quartier Osio ; ils revendiquent, en outre, des droits coutumiers sur l’axe Lubunga-Ubundu ;
• l’inaction de l’Etat, qui n’arrive ni à clarifier la situation administrative des espaces querellés ni à imposer son monopole de la violence légitime ;
• les interférences non élucidées de certains « tireurs de ficelles » ;
• le trafic d’influence de la Société CAP-Congo, qui tétaniserait les acteurs étatiques.
Ces affrontements ont conduit à des atrocités épouvantables, lesquelles ont occasionné plusieurs morts d’hommes, des incendies de plusieurs maisons et champs ainsi que des déplacements massifs de la population. Trois camps de déplacés sont identifiés dont un à l’Eglise catholique Sainte Marthe de Lubunga, un autre dans la Commune de Kisangani (site Konga-Konga) et, le dernier, à la paroisse Saint Gabriel de Simi-Simi dans la Commune Makiso.
Lesdits déplacements de la population, en plus de mettre un coup d’arrêt aux activités productives, ont des conséquences humanitaires et sociales incalculables. La coexistence pacifique et harmonieuse des groupes tribaux ou ethniques dans la Tshopo est sérieusement entamée ; les élèves et leurs enseignants ne savent plus fréquenter les écoles et suivre un programme scolaire normal ; la prostitution et l’exposition aux IST ont refait surface ; le phénomène enfants-quémandeurs dans la rue a pris de l’ampleur. Tous ces faits et leurs conséquences poussent à émettre des avis et considérations ci-après.
Avis et considérations
Beaucoup de conflits interethniques naissent dans le sillage des problèmes fonciers et suite à l’affaiblissement de l’autorité de l’Etat. Ils prospèrent ou sont étouffés selon le degré de réactivité des forces de l’ordre ou selon la promptitude de la prise en charge politico-administrative des causes manifestes et sous-jacentes desdits confits.
Le conflit Lengola-Mbole émerge dans un contexte préélectoral et se poursuit après les élections. Il succède et trouve sur l’échiquier national d’autres conflits du genre en Equateur, entre les peuples Enyele et Monzaya ; en Ituri, entre les Hema et les Lendu ou encore à Mai-Ndombe, entre les Teke et les Yaka.
Par ailleurs, certains conflits à base ethnique ont fini par atteindre le plus grand niveau de menace à l’intégrité et à l’unité nationales. En effet, le repli identitaire émergeant de ces conflits débouche à la création des groupes armés.
Dans ce contexte, il est urgent d’examiner toutes les voies susceptibles de ramener la paix à Kisangani, en particulier, et dans la Tshopo, en général.
L’élément déclencheur connu de tous étant la signature, que d’aucuns jugent illégale, de 20 contrats d’occupation provisoire de 200 ha chacun, soit 4.000 hectares, il est important que la solution commence par l’annulation ou la suspension desdits contrats, conformément aux dispositions de l’article 183 de la loi foncière. En fait, les terres revêtent plusieurs valeurs dans le mental des communautés locales. Elles sont à la fois l’héritage des ancêtres et sources de toutes sortes de subsistances et moyens de vie. Toute forme supposée de dépossession sans consentement libre préalablement éclairé peut mobiliser les énergies d’autodéfense et chercher des boucs-émissaires insoupçonnés.
Enfin, puisque toutes les tentatives parcellaires de solution déployées jusqu’à ce jour n’ont pas donné du fruit, il est impérieux qu’une approche holistique soit entreprise par le Gouvernement de la République. Cette approche comprendra aussi bien des interventions militaires, des poursuites judiciaires, des interventions humanitaires qu’un dialogue de paix.
Recommandations
Au vu de tout ce qui précède, le Caucus des Députés nationaux de la Province de la Tshopo recommande :
• la suspension, le cas échéant, l’annulation de tous les 20 contrats d’occupation provisoire de CAP CONGO SARL afin de revenir à la procédure prévue à l’article 183 de la loi dite foncière ;
• l’imposition de la paix par les forces de défense et de sécurité ;
• le désarmement de tout détenteur illégal d’armes létales ;
• la tenue d’un forum pour la paix et le vivre-ensemble dans la Tshopo ;
• la clarification des limites administratives et des ayants droit sur tous les axes en recourant aux services compétents ;
• la réhabilitation des routes provinciales et des pistes rurales pour permettre la circulation des personnes et de leurs biens ;
• la prise en charge humanitaire de toutes les populations victimes (environ 100.000 déplacés internes, blessés, enfants non scolarisés, etc.).
Fait à Kinshasa, le 30 mai 2024