Le leader pygmée Alinga Jean-Pierre Teto souligne que les propriétaires de la forêt, les pygmées, ne vivent plus non plus dans leur milieu naturel, la forêt. « Nous n’y avons plus accès depuis le début de la guerre. On se force à aller les chercher même très loin. La première cause de cette rareté même de magungu est la guerre ; mais aussi la déforestation fait disparaître ces produits. La population coupe les lianes de Mbili, les arbustes de kadika, de ngongolio,… », déplore-t-il.
La faute, c’est aussi les nouveaux produits pour nourrir les centres urbains car « Ils y mettent des nouveaux fruits comme le manioc, la banane, et coupent les arbres pour avoir le bois de chauffe. On se rend compte de la crainte de leur disparition quand on les manque. Et c’est ce qui rend minable le pygmée. S’il vivait dans sa forêt, on ne l’accuserait pas de voleur et d’autres maux. Ça nous rend triste. », déplore-t-il.
Cantonnés dans les centres urbains dans des camps de refuge, comme à Oïcha, et sans assistance, ignorants plusieurs métiers urbains, les pygmées sont parfois réduits au vol des produits champêtres des bantous pour survivre. Ce qui crée des tensions énormes et une mauvaise réputation de voleur et paresseux pour les pygmées en milieu urbain. Autrement, les femmes pygmées mendient.
La coupe incontrôlée du bois par les exploitants tant industriels qu’artisanaux, mais aussi l’agriculture itinérante sur brûlis, sont indexées par le Chef de Travaux Ruffin Mbuse, Ingénieur forestier et titulaire d’un master en Gestion de la Biodiversité et Aménagement Forestier Durable de la faculté des Sciences de l’Université de Kisangani. Par ailleurs, le modèle agricole en usage dans les Tanganyika est un sérieux problème : « Le modèle agricole utilisé actuellement, l’agriculture sur brûlis, c’est un mode qui dévaste pas mal d’écosystèmes forestiers. Les espaces occupés par les cultures connaissent des mutations très sévères du point de vue de la biodiversité tant animale que végétale. Il y a de ces semences qui ne résistent pas au feu. Elles reculent. A force d’exploiter les sols agricoles, les semences forestières atteindront un certain moment le point d’extinction. Raison pour laquelle, il y a de ces espèces qui ne se font plus voir. »
Une autre dimension importante est évoquée par le Professeur Alphonse Maindo, directeur de l’ONG Tropenbos RDC. « D’abord, il y a l’action de l’homme sur la faune et la flore. Sur la faune, lorsque nous chassons les gibiers, nous les abattons de manière presque sauvage pour notre alimentation. Nous réduisons, par la même occasion, la possibilité de certaines plantes, y compris les arbres, de se régénérer naturellement. Car certains animaux sauvages (mammifères, oiseaux,…) sont des agents de dissémination et d’ensemencement de certaines espèces de plantes. Quand ils disparaissent, ils disparaissent donc avec ces plantes-là. », fait-il remarquer. En plus des travaux agricoles, il y a les aménagements routiers et autres infrastructures. « Nous qui sommes nés à Kisangani, on avait des fruits sauvages autour de la ville. On allait cueillir des fruits dans des endroits qui sont devenus des quartiers.», se remémore-t-il.
La conservation est-elle possible?
Penser à long terme devrait commencer par les consommateurs et les intermédiaires. Hélas ! Ils parlent tous le même langage : ces produits non cultivables sont des dons divins intarissables pour eux.
« C’est un cadeau de Dieu, ça ne peut pas finir dans les forêts des provinces.», nous répond une vendeuse en détail de la fumbwa à Kinshasa. Dans la forêt de l’Ituri, à plus de 170 km de Bunia, un récolteur des noix ne s’imagine pas que ça peut disparaître un jour : « Il faut juste respecter les saisons. »
« Dieu ne peut pas le permettre », répond une consommatrice de ngbako à Oicha. Bien qu’elle reconnaisse qu’ils deviennent de plus en plus rares, une vendeuse de Magungu au marché de Mayangose nous répond : « Ce sont des dons de Dieu. Ca ne peut pas disparaître.»
« Entre les peuples forestiers et la forêt, il y a une relation à plus d’une dimension : économique, alimentaire, sanitaire et culturel. Selon ma petite expérience, les peuples forestiers n’ont pas la notion de conservation. S’il s’agit de couper une plante, ils coupent sans tenir compte de sa durabilité », soutient l’Ir Kikulbi Kase, Chef de travaux à l’Université de Kalemi.
« Les peuples forestiers vivent dans cette conception que si je ramasse aujourd’hui, il n’y a pas de raison que je ne ramasse pas demain. Il y en aura toujours. Ç’a été, c’est et ce sera. Donc ça n’en vaut pas la peine. C’est pourquoi nous avons du mal à conscientiser les gens à reboiser. Car pour eux ça pousse tout seul. Tu manges un fruit et tu jettes les graines et le lendemain ça pousse tout seul. Malheureusement, aujourd’hui, nous sommes en train de perdre tout ça en détruisant la forêt et je crains que les générations futures ne puissent voir ce que nous avons eu, nous, la chance de voir et de voir ça seulement dans les livres de botanique et autres simplement », s’inquiète le Professeur Maindo.
Le peuple forestier vit dans un environnement où tout doit provenir de son écosystème naturel qui est la forêt. Ce qui n’est pas le cas avec la densité des agglomérations, même en forêt.
« Beaucoup de plantes consommées actuellement sont exotiques. Je prends le cas des maniocs, orangers,… qui viennent d’autres continents, alors que nos ancêtres dépendaient des plantes qui poussaient à l’état sauvage. L’arrivée des nouvelles plantes pousse vers la disparition des anciennes plantes. », fait remarquer le CT Ruffin Mbuse.
« Depuis nos ancêtres qui ont vécu complètement en forêt, il existe beaucoup de produits qui protègent le pygmée. Comme Aduaka, c’est notre manioc sauvage. Mambili, c’est de l’arachide sauvage que l’on ajoutait dans le sombé. Mambili, c’est l’huile dont les femmes se servaient pour griller de la viande au retour des hommes de la chasse avec le gibier. Avant une sortie en cité pour venir visiter les frères bantous, après le bain, on s’en servait comme lotion et ça nous rendait très propre. », se rappelle le leader Peto qui se reconnaît déjà civilisé avec un peu de tristesse.
Aujourd’hui, le pygmée n’a plus accès au magungu. Si un pygmée tente d’aller récolter le ngongongio dans un champ, c’est la guerre avec machette et qui ne pourra être résolu que dans la barza. C’est pourtant un produit du pygmée, regrette-t-il.
Pourtant, ceux qui vivent dans les villages environnant la forêt, prennent de plus en plus conscience. « Je récolte les fruits et je laisse l’arbre pour en profiter à la prochaine saison », explique un habitant de Kabubili, village situé à 31 km de la ville de Kalemie sur l’axe Kabimba, dans la province du Tanganyika.
« Nous vivons de ces fruits et sa protection reste capitale, car ils profiteront même à nos enfants », a affirmé Maman Jeanne, une vendeuse de fruits, rencontrée à Pungwe, un village situé à 22 km de la ville de Kalemie, sur l’axe routier menant vers Lubumbashi. Ils sont d’une importance capitale, car ils servent également comme médicaments d’une manière simple et traditionnelle.
Il sied de signaler que les fruits sauvages sont protégés selon différentes coutumes. Pour d’autres, il faut respecter les rituels. « Pour récolter, il m’est interdit de monter dans cet arbre. Sinon toute ma famille va mourir. Je dois attendre que les fruits tombent d’eux-mêmes pour que je vienne les récolter par terre », nous explique notre hôte dans la forêt de Mambasa.
Mais nous assistons à un problème social actuellement. « Le christianisme qui serait également responsable de l’abandon de beaucoup de ces plantes. Aller écorcher un arbre en forêt pour soigner sa femme, pour beaucoup cela est assimilé à une pratique fétichiste. Et les chrétiens abandonnent ces plantes. », regrette le chercheur Ruffin.
La relation de méfiance entre le christianisme et nos coutumes est celle qui influencerait même la non-prise en charge de la médecine traditionnelle par l’Etat comme le reconnaît Freddy Nzenza, point focal de la médecine traditionnelle dans le Grand-Nord de la province du Nord-Kivu.
Il n’existe pas non plus de mécanisme approprié pour la gestion des fruits sauvages, reconnaît Paul Senga, coordonnateur provincial du service de l’environnement en province du Tanganyika, avec 27 ans de service.
Naturellement, tous les fruits n’ont pas la même périodicité en termes de maturation. Il y en a que l’on peut trouver en maturation en pleine saison sèche, et ceux qu’on peut trouver en saison de pluie, expliquet-il. Néanmoins, il y a une protection indirecte, « Lorsque nous délivrons les permis de coupe de bois, nous prenons soin de signaler les espèces qui doivent être protégées, dont certains arbres fruitiers. Ne peut être autorisé à couper par exemple le pafsa, le mabunge, c’est formellement interdit. », nous éclaircit-t-il dans son bureau.
Car le défis est grand et demande une conscience de tous. « Nous avons des agents de l’environnement, mais ils ne sont pas là pour les fruits sauvages. Prenons un territoire comme Moba avec 24 milles km carrés, les agents ne peuvent être partout. Le phénomène de feu de brousse montre que ce n’est pas qu’un problème des agents de l’environnement. Avec 33 agents, on ne peut pas contrôler un territoire aussi vaste que celui de Manona avec 34 mille km carrés. », illustre-t-il pour démontrer que c’est l’affaire de tout le monde qui doit prendre conscience de l’importance des fruits sauvages parce que ça contribue à la santé de tous et chacun.
Nous devons nous mettre à restaurer les forêts, mais nous pouvons aussi faire un travail de domestication. « Car toutes les espèces végétales peuvent être domestiquées. Il y a des gens qui ont déjà domestiqué le fumbwa.
Dans beaucoup de pays, on en fait des plantations. Ainsi, on peut domestiquer les tonga », témoigne le Professeur Maindo.
« En matière de régulation, le code forestier est la loi qui impulse les directives. Les textes d’application devraient suivre afin de garantir le suivi de tout ce qui est de la pérennisation des filières. L’Etat ne pouvant pas tout faire, les organisations, comme le WWF est une porte d’entrée pour accompagner l’organisation de ces filières porteuses des PFNL », suggère Inoussa Njumboket, point focal forêt WWF-RDC.
« Pour la conservation, des recherches scientifiques sont menées, mais les techniques utilisées ne peuvent être calquées en milieu rural jusque-là, vu le niveau intellectuel et le coût financier. C’est ainsi que, scientifiquement, plusieurs travaux se limitent à l’identification et à évaluer l’ampleur de leur extinction. », déplore le Chef de Travaux Ruphin Mbuse.
Depuis l’avènement de la foresterie communautaire en RDC, nous assistons à un regain d’intérêt pour les produits forestiers non ligneux, PFNL. Plusieurs initiatives locales sont menées pour aider les communautés à rendre viable économiquement leurs forêts. On ne peut pas gérer ce que l’on ne connaît pas.
« Actuellement, il se mène des travaux d’inventaire. Nous n’avons pas suffisamment de chiffres exacts pour étayer le fait que ces espèces pourraient disparaître d’un moment à un autre, mais nous comprenons qu’il y a actuellement une rareté dans certaines communautés. Car ceux qui les prélèvent vont jusqu’à les déraciner. Des pratiques qui ne sont pas durables. », reconnaît Inoussa Njumboket.
Mais puisque les peuples forestiers sont de plus en plus conscients de la rareté, « car ils commencent à réaliser des grandes distances pour avoir les fruits, les insectes qu’ils trouvaient encore dans leur environnement immédiat, il y a quelques années ; l’important est le renforcement de l’éducation en protection des forêts. Comme l’intérêt n’est pas que local, avec tout ce que nous offre la forêt pour la lutte contre le changement climatique et la conservation de la biodiversité, on ne doit pas baisser les bras », insiste l’Ingénieure Deborah Waluvera, titulaire d’un Master en Gestion de la Biodiversité et Aménagement forestier durable à l’Université de Kisangani, dans le programme CIFOR-UNIKIS et enseignante au sein de la faculté des Sciences Agronomiques de l’Université Catholique du Graben à Butembo.
Pour les pygmées, la solution reste leur réappropriation de la forêt ainsi que tout ce qui croît naturellement.
« Nous le répétons dans les médias que le pygmée a le droit d’aller récolter ses ngongolio même si c’est dans le champ d’autrui. C’est à lui de décider de te laisser une partie par pitié. C’est son droit naturel. Puisque pour la domestication, le ngongolio, par exemple, on peut le planter, mais il ne produira des fruits que très tard, quand vous ne serez plus de ce monde. », explique Peto.