Dans une tribune percutante, Me. David Angalawe Otemikongo, avocat au barreau de la Tshopo et doctorant à l’Université de Kisangani, s’attaque à la question brûlante du conflit de compétences entre l’exécutif et le judiciaire en République Démocratique du Congo (RDC). À travers une autopsie minutieuse, il met en lumière les réformes initiées par le Ministre de la Justice et Garde des Sceaux, Constant Mutamba, et leur impact sur le principe fondamental de la séparation des pouvoirs. En voici l’intégralité :
CONFLIT DE COMPETENCE ENTRE L’EXÉCUTIF ET LE JUDICIAIRE À L’AUNE DU PRINCIPE DE LA SÉPARATION DES POUVOIRS EN RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO : Autopsie théorique.
A ce jour, les réformes entamées par le Ministre de Justice et Garde des Sceaux dans le secteur judiciaire ressuscitent le débat de la séparation des pouvoirs clos par Montesquieu.
Pour certains juristes, le Ministre de Justice et garde des sceaux n’a pas qualité d’interférer dans les affaires judiciaires ; pour d’autres, il peut donc y interférer en sa qualité de régulateur.
Ce clivage manifeste l’intérêt pour tout chercheur en Droit à bien saisir le fondement juridique du principe de la séparation des pouvoirs ; sa portée ; ainsi que ses limites avant de statuer au détriment de qui la violation de ce principe est imputable.
- Du fondement de la séparation des séparations des pouvoirs en RDC
Le principe de la séparation des pouvoirs n’est pas expressément évoqué dans la Constitution de la RDC du 18 février 2006 telle que révisée à ce jour.
Toutefois, l’on peut retrouver ses indicateurs dans cette Constitution lorsque l’article 68 de celle-ci dispose que les institutions de la République sont : Le Président de la République, le Parlement, le Gouvernement ainsi que les Cours et tribunaux .
Il ressort de cet article que le Président de la République et le Gouvernement forment le Pouvoir exécutif ; le Parlement forme, par ailleurs, le pouvoir législatif ; ainsi que les cours et tribunaux qui forment le pouvoir judiciaire.
L’article 149 de la même Constitution renchérit en disposant que le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif.
Consécutivement à ce prescrit, l’article 151de cette Constitution précise en son alinéa 1 que le Pouvoir exécutif ne peut donner d’injonction au juge dans l’exercice de sa juridiction, ni statuer sur les différends, ni entraver le cours de la justice, ni s’opposer à l’exécution d’une décision de justice. Cette disposition ne s’applique pas aux parquets car les magistrats y attachés ne sont pas des juges, une précision de taille.
Ce récit des dispositions constitutionnelles suffisent-elles pour conclure que les actions du Ministre de Justice violent-elles le principe de la séparation des pouvoirs, par ricochet, la Constitution ?
La réponse à cette question est évidemment négative .
Dans ce cas, ces actions ont-elles quel fondement juridique en Droit positif congolais ?
En effet, les réformes du Ministre de Justice tirent leur fondement des articles 69 et 91 de la Constitution de la RDC en vigueur.
Conformément à l’article 69 alinéas 2 et 3 de la Constitution, le Président de la République veille au Respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des institutions ainsi que la continuité de l’Etat.
En vertu de cette disposition, la Constitution donne au Président de la République un droit de regard, de contrôle et d’action sur les institutions de la République y compris les Cours et tribunaux bien que relevant du pouvoir judiciaire.
Bien plus, il convient de noter que le Président de la République peut partager ce pouvoir avec le Gouvernement et ses membres qui, conformément à l’article 79 de la même Constitution, définissent, en concertation avec lui, la politique (même judiciaire) de la Nation et en assume la responsabilité.
Ce quitus de partage du pouvoir est accordé au Gouvernement et à ses membres lors des différents conseils des ministres convoqués et présidés par le Président de la République en application de l’article 79 alinéa 1 de ladite Constitution.
Les réformes judiciaires entreprises relèvent inévitablement de la politique du Gouvernement congolais que le Ministre de Justice applique dans son secteur et sous la Coordination du Premier Ministre conformément à l’article 93 de la Constitution de la RDC en vigueur.
En matière de l’administration de la justice, l’article 1-B de l’ordonnance n°20/017 du 27 mars 2020 fixant les attributions des Ministères attribue au Ministre de Justice et Garde des sceaux des pouvoirs importants ci-après :
- Suivi de l’exécution de la politique judiciaire du Gouvernement par les Cours et tribunaux et les parquets y attachés ; Contrôle des activités judiciaires;
- Surveillance générale sur le personnel judiciaire ;
- Suivi des réformes institutionnelles.
Sans préjudice des autres dispositions constitutionnelles et légales, pour notre part ces prérogatives placent le Ministre de Justice et garde des sceaux au rang de Bâtonnier du Pouvoir judiciaire.
2. Portée du principe de la séparation des pouvoirs
Aurélie Bauba soutient que » la conception de la séparation des pouvoirs dans son approche Cheks Balace, autorise une certaine ingérence d’un organe dans les fonctions exercées par l’autre . » (Principes fondamentaux de droit constitutionnel, Annales d’examens et sujets d’actualité, Gualino-lextenso, 2017, p.4)
L’approche de Cheks Balace fait des pouvoirs ni totalement spécialisés ni complètement indépendants, ce qui implique leur collaboration au sein du jeu institutionnel. Elle rend possible l’intervention de l’exécutif dans le judiciaire ou vice-versa.
Le Cheks Balace est consacré en RDC, à titre illustratif, par les articles 87 et 164 de la Constitution en vigueur qui disposent respectivement : » le Président de la République exerce le droit de grâce » ; » la Cour constitutionnelle est le juge pénal du Président de la République… « .
3. Limites du principe de la séparation des pouvoirs
Il n’est pas étrange que l’interférence du Ministre de Justice dans le domaine judiciaire puisse susciter un tel engouement d’opinion car la théorie de séparation des pouvoirs enseigne beaucoup plus sur le rapport entre l’exécutif et le législatif (régime parlementaire et régime présidentiel) que celui entre le judiciaire et l’exécutif (autoritarisme et gouvernement des juges).
Vu la Constitution de la RDC et les lois de la République en vigueur ;
Et sous toutes réserves généralement quelconques
Nous sommes d’avis que les réformes appliquées par le Ministre de Justice et garde des sceaux dans le secteur judiciaire congolais sont conformes à la Constitution et ne viole nullement le principe de la séparation des pouvoirs dans l’état actuel de la théorie du droit.
Fait à Kisangani, le 29 août 2024